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Arthur Porré, co-fondateur et Managing Partner, chez Avolta Partners : « Pour les start-ups, la réalité des exits en France est aujourd’hui plus que préoccupante »

Tech&droit - Start-up
25/11/2019
Hausse des levées de fonds, mais grande faiblesse côté sorties : c'est la principale conclusion d'un rapport rendu public récemment par Avolta Partners, intitulé "Tech Exits Transaction Multiples - France 2019", qui a analysé  toutes les transactions M&A intervenues en France, de 2017 au premier semestre 2019. Un rapport qui met en lumière les raisons de l'échec actuel de l'écosystème français à produire des sorties géantes.
Actualités du droit : Votre rapport est l’un des premiers à avoir choisi comme angle les exits : pourquoi ce choix ?
Nous avons le sentiment dans notre métier que les levées de fonds progressent en France et que de plus en plus d’investisseurs veulent investir, ce qui se traduit par de nombreuses annonces et un important marketing autour de ces levées de fonds. Mais finalement, c’est un peu la forêt qui se cache derrière l’arbre. Car ce qui est important dans un écosystème, c’est que cet argent revienne à l’écosystème et aux investisseurs et cela, personne ne le regarde.
 
Concrètement, personne ne regarde cet indicateur qu’est l’exit, même s’il faut reconnaître que les investisseurs ne se préoccupent pas tant que cela de cette perspective. Dans la manière dont ils gèrent leur participation, ils n’ont pas une démarche proactive pour pousser aux sorties.
 
Tout cela fait que l’on a l’impression que l’exit n’est pas une préoccupation, ni côté start-ups, ni côté investisseurs.
 
Pourtant, lorsque l’on se penche précisément sur ces sorties, l’on se rend compte que la réalité des sorties en France est aujourd’hui plus que préoccupante. En pratique, il y a eu très peu de sorties, ce qui fait que par rapport aux voisins européens, nous sommes très en retard. Les sorties les plus importantes financées par l’écosystème VC français sont toutes petites. Il n’y quasiment que les sociétés les plus importantes, au-dessus de 100 millions, qui sont achetées par des acteurs étrangers (américains ou asiatiques).
 
Petit montant, retard, pas de progression en vue et des acquéreurs majoritairement étrangers, voilà en quelques mots les résultats de cette étude. Nous sommes assez étonnés des résultats, pour tout dire, surtout que cela soit à ce point-là marqué.
 
ADD : Pourquoi la tech française est-elle pour vous tellement attachée au volume des levées de fonds ?
C’est parce que pour qu’un écosystème fonctionne, particulièrement dans la tech, le financement doit être très fort. Et le financement ayant été très en retard en France sur les dernières années, c’était un problème à résoudre. Ce niveau de levées de fonds est donc plutôt une bonne chose (la France est très en retard sur le Royaume-Uni 4 milliards versus 8 milliards en 2018). Un montant qui, cette année, devrait tourner autour des 5 milliards.
 
Maintenant, on constate une importante focalisation sur le montant des levées de fonds, alors que ce n’est encore un fois qu’une partie de l’équation.
 
Il est nécessaire de se concentrer davantage sur les sorties, les levées de fonds ne pouvant à elles-seules illustrer la bonne santé d’un écosystème.
 
ADD : Pouvez-vous revenir sur les trois principaux chiffres de votre rapport ?
Ce qu’il faut d’abord retenir, c’est que 70 % des transactions sur les 3 dernières années se sont faites en deçà de 50 millions. C’est un seuil important, que l’on doit franchir. Il y a très peu d’acquéreurs qui sont capables d’acheter des sociétés technologiques au-dessus de ce montant. Et donc, si on prévoit une levée de fonds sur une valorisation supérieure à 50 millions, on sait pertinemment que la sortie va être un peu complexe. Ce plafond de sortie a tendance à faire que les entrepreneurs choisissent de vendre plutôt que de continuer à développer leur société.
 
Le deuxième chiffre à retenir, c’est le suivant : la sortie de la plus importante d’une société technologique financée par l’écosystème VC en France (Teads, autour de 300 millions) est 100 fois inférieure à la sortie la plus grosse européenne (Spotify, valorisée 25 milliards).
 
Enfin, troisième chiffre, les acquéreurs américains représentent, en volume, 2/3 du volume des acquisitions (sur tous les gros deals, il n’y a quasiment que des acheteurs américains) alors qu’en nombre 2/3 des acquéreurs sont français. Des chiffres qui révèlent également que la « colonisation digitale » se poursuit. 
 
ADD : Quelles sont les solutions de liquidité possibles pour les start-up ? Laquelle est privilégiée, en pratique ?
Concrètement, il y a trois options. La première est d’aller en bourse (Euronext Paris, en France, très peu de transactions, environ une trentaine sur les 3 dernières années). Et ce qui est assez inquiétant lorsque l’on regarde les cours de bourse dans les douze mois suivant l’introduction, c’est que presque tous les cours sont largement à la baisse : sur 12 mois, en moyenne moins 18 % et 80 % des 32 IPO réalisées sont à la baisse 12 mois après leur introduction. Un exemple avec Navya : en juillet 2018, son cours était de 190 millions, contre actuellement moins de 30 millions. Et si l’on compare ces ratios avec un indice PME large sur la même période, on s’aperçoit que les actifs technologiques sous-performent légèrement.
 
Ensuite, la deuxième solution est de se tourner vers les fonds de private equity. Mais en réalité, on constate peu de transactions avec des fonds parce que le marché est encore très mature. Les sociétés ne sont pas assez importantes en termes de chiffres d’affaires et surtout d’Ebitda (profitabilité), même s’il y a de plus en plus d’opportunités. D’un autre côté, les acquéreurs n’ont jamais eu autant d’argent, ce qui fait que le rapport de force est inversé. Ce ne sont pas les start-ups qui courent après les investisseurs. Dans l’écosystème private equity, lorsque l’on présente une société aux investisseurs, on a parfois une offre en moins d’une semaine parce que les opportunités sont peu fréquentes. On peut donc imaginer que de plus en plus d’opportunités de leverage by out (LBO) se présentent dans la tech.
 
La troisième et dernière hypothèse, la plus courante (environ 2/3 des transactions), consiste à céder ses actifs à une autre entreprise. Cette sortie est de plus en plus fréquente, même si les entreprises françaises sont encore un peu frileuses lorsqu’il s’agit d’acquérir des actifs technologiques. Il n’y a pas de très grosses transactions sur des rachats par des corporates. En réalité, les grands acteurs corporate (CACA40 et SB120) sont des sociétés plutôt industrielles, classiques, et pas technologiques. L’acculturation doit donc progresser pour que ces sociétés perçoivent la valeur de ce type d’actifs et le caractère transformatif pour leur industrie. Par ailleurs, ces sociétés ne se sentent pas en concurrence avec des acteurs techs et ne perçoivent donc pas toujours l’urgence à s’armer sur ces sujets-là. Enfin, ces acteurs ne reçoivent pas toujours bien les multiples. Ils ont du mal à acheter une société 5 ou 10 fois le chiffre d’affaires quand ils sont, pour leur part, valorisés 4 fois l’Ebitda. Tout ceci explique que, pour l’instant, sur ce marché, les principales transactions sont réalisées avec des société étrangères.
 
ADD : Quel est l’âge moyen des start-ups lors des exits ?
Cela dépend en pratique du type d’opération. En moyenne, il faut compter :
  • 11 ans pour une IPO ;
  • 15 ans pour un fonds ;
  • 8 ans pour un corporate.  
ADD : Et le multiple de sortie ? Est-il en progression ?
En agrégé, ce multiple est de :
  • 2,1 en 2017 ;
  • 2,3 en 2018
  • 3,1 en 2019
ADD : Est-il supérieur en B2B ou en B2C ?
Le multiple est un peu supérieur en B2C (2,5 versus 2,1), mais l’écart n’est pas différentiant. En revanche, l’étude révèle que lorsque la société a été financée par un VC, le multiple passe de 1,9 si l’opération n’a pas été financée par un VC à 3,3 si c’est le cas.
 
ADD : Quelles sont les raisons qui pour vous expliquent les difficultés de l’écosystème français à faire émerger des géants de la tech ?
Nous avons identifié deux facteurs principaux à même de faire émerger des géants de la tech et permettre que des exits importants soient réalisés en France.
 
D’abord, il faut que les acteurs de la tech lèvent suffisamment de financement pour se développer et rentrer en compétition avec des acteurs internationaux, qui ont cet argent depuis plus longtemps.
 
Il est également important que cette liquidité provienne d’acteurs locaux. C’est le principal nœud de la tech, dès lors que les entrepreneurs, les fonds ne savent pas bien comment ils vont gérer leur sortie. Aux États-Unis ou en Angleterre, il y a eu des exits importants avec des acteurs locaux (entreprises, fonds ou bourse). En France, cela reste donc un frein majeur pour le développement sur le territoire de sociétés technologiques.
 
ADD : Vous évoquez également une possible sur-valorisation relative de certaines start-ups françaises. Quelles en seraient les raisons ?
Dans un contexte d’acquéreurs qui ne peuvent pas acheter cher, les actifs technologiques se retrouvent, quelque part, survalorisés. Compte tenu du fait qu’il n’y a pas de sorties très élevées, que va-t-on faire des sociétés qui ont levé beaucoup d’argent et qui valent plus d’un milliard. Qui va les racheter, sinon des acteurs étrangers ?
 
Les raisons ? L’actif technologique est un actif de croissance, ce qui fait que les valorisations sont plus élevées. Maintenant, cette survalorisation doit être tempérée. Il faut que les deux mondes se rattrapent.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
Source : Actualités du droit