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Vers une cohabitation pacifique entre legaltechs et barreaux ?

Tech&droit - Start-up
04/12/2017
Le développement extraordinaire des legaltechs au cours des dernières années tend à révolutionner la manière dont le droit est perçu et mise en œuvre. Les avocats sont les premiers touchés (ou bénéficiaires) de cette ubérisation du droit et la question qui se pose est donc celle de savoir comment la profession peut-elle évoluer face aux legaltechs. L'avis d'Arnaud Touati, avocat associé, co-fondateur du cabinet Alto Avocats, et Gary Cohen, collaborateur.
Un début de cohabitation difficile
Traditionnellement, l’on pourrait simplement répondre à cette question en revoyant aux barreaux, ces entités chargées d’encadrer et de contrôler les avocats inscrits dans le ressort de leur compétence. Toutefois, il apparaît rapidement un problème majeur tenant à une situation de déséquilibre entre legaltechs et barreaux, les seconds étant en position dominante pour éventuellement imposer des normes visant à réduire le champ d’action des premières.

La concurrence est ainsi au centre de cette difficile cohabitation qui peut parfois s’avérer difficile. À cet égard, il est pertinent de se tourner vers les États-Unis où de nombreux conflits ont vu le jour quant à cette problématique. Ainsi, certains barreaux se sont montrés particulièrement hostiles à l’arrivée des legaltechs dans le secteur juridique et ont décidé d’engager des poursuites à leur encontre. Cette attitude s’est finalement retournée contre eux puisque les legaltechs ont décidé, à leur tour, de contre-attaquer en reprochant aux barreaux des pratiques anticoncurrentielles tirées de leur position quasi-monopolistique sur le "marché" des avocats.

La réponse des juridictions américaines et françaises sur le respect du droit de concurrence
L’enjeu de cette confrontation était donc de savoir s’il était possible de soumettre les barreaux aux règles normales de la concurrence ou si leur position spécifique leur permettait de s’y soustraire. Dans un arrêt Dental Examiners contre Federal Trade Commission de 2015 (Supreme court of the United States, 25 févr. 2015, aff. n° 13-534) la Cour suprême des États-Unis a précisé que les organismes professionnels ne peuvent bénéficier d’une immunité que sous deux conditions :
  • lorsque la restriction posée au marché s’inscrit dans une politique publique ;
  • et qu’elle reste contrôlée in fine par une autorité publique.
Cette jurisprudence est tout à fait conforme à celle de l’Union européenne qui concerne donc directement les barreaux français puisque la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans un arrêt Wouters de 2002 (CJUE, 19 févr. 2002, aff. C-309/99, « il apparaît qu'une organisation professionnelle telle que l'ordre néerlandais des avocats doit être considérée comme une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1 (…) »  et, par conséquent, demeuraient soumis au droit de la concurrence (« la réglementation nationale en cause au principal porte atteinte à la concurrence et est susceptible d'affecter les échanges intracommunautaires »).

En France, on peut notamment faire état du conflit qui a opposé l’ordre des avocats et le conseil national des barreaux (en tant que parties civiles) à la legaltech Demander justice qui proposait, entre autres, de pouvoir saisir un juge en quelques clics. Il était ainsi reproché au site internet de proposer des conseils juridiques, activités réservées aux avocats et qui ne peut donc être exercée que par eux.

Sous couvert de cette appellation, l’on pouvait se demander s’il ne s’agissait pas là d’une tentative de verrouiller le marché et d’empêcher aux sociétés privées de pouvoir s’y implanter et concurrencer la profession d’avocat.

Cependant, cet affrontement semble définitivement tourner en faveur des legaltechs, dans la mesure où pour la troisième fois (d’abord au pénal : CA Paris, pôle 5, 12e ch., 21 mars 2016, n° 14/04307, puis Cass. crim., 21 mars 2017, n° 15-82.437 ; puis au civil : TGI Paris, 11 janv. 2017, n° 15/04207 : « il n’apparaît pas non plus établi, au vu de ces pièces, que la société Demander Justice se livrerait de manière habituelle à des consultations juridique »), la justice leur a donné raison.

Une cohabitation pacifiée ?
Attention toutefois à ne pas noircir le tableau de façon trop hâtive. Rappelons que le Barreau de Paris a lancé en 2014 un incubateur pour accompagner les avocats créateurs de legaltechs : il organise chaque année un concours d’innovation et récompense les avocats et non-avocats qui améliorent l’accès et l’utilisation du droit.

Un premier pas vers une cohabitation pacifique… 
Source : Actualités du droit