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Premiers retours d’expérience concluants sur la justice prédictive

Tech&droit - Start-up
01/12/2017
Annoncé lors de la Convention nationale des avocats, le 18 octobre dernier, le partenariat entre Eurojuris et Predictice a maintenant un mois. Autant de temps mis à profit par les cabinets membres de ce réseau pour utiliser et analyser la solution de justice prédictive proposée par cette start-up. Le point sur les premiers retours d’expérience, les avantages et les points d’amélioration de cet outil.
Un échange permanent avec les avocats utilisateurs de cette solution de justice analytique
Pour Sophie Clanchet, présidente d’Eurojuris France, « la justice prédictive ne vient pas remplacer l’avocat, mais propose une solution complémentaire à notre expertise ». Et pour rendre ce service d’analyse prédictive encore plus performant, il faut l’entraîner et faire évoluer la brique technologique au gré des remontées des utilisateurs.
 
« C’est tout l’intérêt de ce partenariat : créer un rapport de co-innovation et de co-construction, au bénéfice d’un service en amélioration permanente », poursuit cette avocate. Ce que souligne Louis Larret-Chahine, co-fondateur de Predictice : « Un site internet ne se fait pas en un jour, il n’est jamais fini. Nous faisons des mises en production bimensuelles ». L’un des axes de réflexion actuels repose sur les filtres (niveau de salaire, catégorie professionnelle, ancienneté, montant d'indemnité prononcé, ou encore filtre temporel pour mieux limiter une analyse à une situation pré ou post-revirement de jurisprudence, etc.) : plus les paramètres seront précis, plus le panel sera affiné et pertinent.
 
L’algorithme est annoncé en constante amélioration. Mais la performance de la solution ne repose pas que sur cet algorithme : l’accès aux données est un enjeu plus qu’important. Or l’open data des décisions de justice traîne…
 
Premiers retours d’un avocat en droit social
« Ce n’est pas un outil qui va donner des solutions juridiques », souligne Guillaume Boulan, avocat spécialiste en droit social. Bien au contraire. Utiliser correctement l’outil suppose d’avoir de solides connaissances juridiques. Déterminer les faits pertinents, cerner les qualifications ou identifier les types de préjudices, sont autant d’étapes indispensables qui s’appuient entièrement sur l’expertise de l’avocat. Sans ces préalables, les filtres choisis pour faire tourner l’outil ne seront pas appropriés et, partant, les résultats assez peu efficaces.
 
Concrètement, quel intérêt peuvent avoir les avocats à intégrer l’analyse prédictive dans leur pratique ?
 
Pour Guillaume Boulan, les résultats au terme d’un mois d’utilisation de cette solution sont plus que concluants. L’avocat cite deux exemples. Le premier reprend une consultation classique d’un salarié qui estime que son contrat de travail ne se déroule pas dans des conditions normales. Il le rompt à son initiative et souhaite invoquer devant le juge la violation du contrat, pour obtenir un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette même personne a, par ailleurs, lu sur internet qu’elle pouvait obtenir une indemnisation pour le préjudice subi pendant le contrat de travail et envisage de demander 60 000 euros. Déterminer ses chances de succès et le montant qu’il peut espérer, l’avocat sait bien entendu le faire, mais « l’outil va servir à contextualiser sa demande et donner un retour objectif au client sur ses chances de succès ». Autrement dit, permettre de le confronter à la réalité. Pour Sophie Clanchet : « Ce que l’on sait, on peut maintenant le démontrer au client ». Dans l’exemple cité, « la recherche dans Predictice me permet de lui montrer que oui ce type de demande existe, mais que le taux de succès n’est que de 8 % et que l’indemnité associée n’est pas le montant qu’il envisage, mais avoisine plutôt les 5 -15 000 », relève Maître Boulan. Cela permet ensuite d’établir une stratégie à partir d’éléments démystifiés, d’autant que le site donne certes une moyenne, mais surtout un positionnement par rapport à l’ensemble (pourcentage de décisions inférieures/supérieures à la moyenne).
 
Seconde illustration, portant cette fois sur un exercice auquel doivent se plier bon nombre d’avocats tous les ans : la détermination d’une provision pour risque contentieux. Les entreprises se retournent souvent vers leur conseil pour évaluer ces risques. Avec des conséquences importantes : si la provision n’est pas sincère, la responsabilité civile de l’avocat pourra être engagée. Pour Guillaume Boulan, « le site permet non seulement d’évaluer cette provision mais aussi d’en justifier de la pertinence autrement que par la simple expérience, voir la simple confiance ». En pratique, les entreprises ont tendance à provisionner le montant des demandes qui, bien souvent, ne correspond pas à la réalité des indemnités que les entreprises pourraient être condamnées à verser. Des montants colossaux sont ainsi bloqués, et pendant une longue période, sur les comptes des sociétés. Louis Larret-Chahine cite ainsi l'exemple d'une société française de télécommunications : « près d’un demi-milliard d’euros y serait bloqué en risque contentieux ». Autant d’argent qui n’est pas fiscalisé, ni consacré au recrutement ou à l’investissement. Un des contentieux souvent provisionné, c’est celui de la clause de non-concurrence. Or, pour Guillaume Boulan, le recours à la justice prédictive va permettre de cerner si l’entreprise a ou non un risque d’être condamnée, de constater que l’indemnité versée pour illégalité de cette clause est rarement octroyée et que, quand elle l’est, elle l’est de manière raisonnable.
 
Pour cet expert, si « l’outil va jusqu’au bout de ses promesses et renforce sa performance, on va évacuer des demandes judiciaires farfelues et il y en a beaucoup, notamment en matière sociale ».
 
Le recul d’une praticienne du règlement amiable
Autre retour d’expérience, tout aussi positif, cette fois d’une praticienne des modes alternatifs de règlement des différends. Bien souvent, relève Carole Ollagnon-Delroise, avocate à Chambéry, les clients recherchent des solutions antagoniques : ils souhaitent échapper à l’aléa d’un procès, par crainte d’un juge qui plaquerait une issue non adaptée à leur situation personnelle, mais en même temps, ils veulent savoir quelle serait la solution s’ils soumettaient leur dossier à un magistrat.
 
Pour cette avocate, « la promesse de Predictice est la pièce manquante dans notre pratique ». Dans un divorce par consentement mutuel sans juge, par exemple, avec le futur ex-époux et son avocat, « nous allons  cerner les données objectives du dossier (hors nœuds humains), les rentrer dans la machine et avoir instantanément un panel de décisions ». Cette approche statistique est utile pour rassurer les clients réticents à telle ou telle issue dans la négociation. « Cet outil est un moyen de présenter une appréciation qui est la mienne au départ mais qui là, va avoir une valeur scientifique ». Finalement, « ce logiciel permettra de passer les éléments objectifs d’un dossier à la moulinette d’une analyse statistique, et de se concentrer plus facilement et plus rapidement sur la singularité, les besoins propres à chacun, pour aboutir à des solutions qui relèvent de la dentelle ». Avec une conclusion surprenante : « Les solutions choisies sont souvent aux antipodes de l’éclairage donné par Predictice », souligne Carole Ollagnon-Delroise, « mais le résultat généré par cet outil va permettre aux clients de se départir de certitudes qui ont noué des peurs et des fantasmes incroyables ».
 
Au-delà de cette hypothèse du divorce non contentieux, l’analyse statistique de données judiciaires apparaît comme un argument de plus pour proposer des transactions aux clients. Une fois la question d’argent fixée grâce aux données révélées par l’outil, les négociations peuvent plus facilement se dérouler autour des multiples nœuds humains du conflit.
 
De quoi encourager la déjudiciarisation des différends ? À l’heure où la justice peine pour tout un ensemble de raisons à accomplir dans des délais raisonnables sa mission, les solutions de justice analytique doivent être étudiées de près…
Source : Actualités du droit