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Trois décrets pour renforcer la transparence et la loyauté des plateformes numériques

Tech&droit - Start-up, Données
06/10/2017
Les plateformes numériques concentrent, depuis début octobre, l'attention du gouvernement et des institutions. Conseil d'État la semaine dernière, Bercy et secrétariat chargé du Numérique le 6 octobre. Le point sur trois décrets, qui viennent de paraître au Journal officiel, dont l’objectif est de renforcer les obligations de transparence et de loyauté des opérateurs de plateformes. Ce qui devra se concrétiser sur les plateformes dans des délais assez courts.
Pris en application de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 (L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016, JO 8 oct., art. 49, 50 et 52), ces trois décrets, signés par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du Numérique, sont le fruit d’une concertation au sein du Conseil national de la consommation (CNC), également menée avec les représentants des entreprises des secteurs concernés.
 
Le Conseil d’État, dans son étude annuelle 2014 intitulée « Le numérique et les droits fondamentaux », avait défini ces plateformes comme une catégorie de « prestataire intermédiaire » pour le partage de « services de référencement ou de classement de contenus, biens ou services édités ou fournis par des tiers » (Conseil d’État, étude annuelle 2014, Le numérique et les droits fondamentaux, La Documentation française, coll. Les rapports du Conseil d’État, 2014, p.172 ; sur l’étude annuelle 2017, intitulée « Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l'ubérisation », v. Actualités du droit, « Il ne faut pas créer un droit spécifique pour les activités numériques, ni un droit spécial pour l'ubérisation », entretien avec Boisdeffre (de) M. et Paris T.).

Acteurs déterminants de l’économie, les moteurs de recherche, places de marché et autres plateformes d'intermédiation se sont imposés en quelques années auprès des consommateurs. Pour Bruno Le Maire, ils « jouent un rôle majeur dans l’économie numérique, et sont un point d’accès à de nombreux services en ligne pour tous les français. Ces décrets permettront aux consommateurs d’accéder à des informations claires, objectives et transparentes, pour renforcer la confiance en l’information présentée sur ces plateformes. L’objectif est de mieux équilibrer les relations entre plateformes et utilisateurs ».
 
Concrètement, ces trois décrets portent sur les obligations d’information de ces opérateurs, la fixation du seuil de connexions à partir duquel ils doivent élaborer et diffuser des bonnes pratiques pour renforcer la loyauté, la clarté et la transparence des informations transmises aux consommateurs, et enfin, plus spécifiquement, sur les obligations d’information relatives aux avis de consommateurs en ligne.
 
Les nouvelles obligations d’information des opérateurs de plateformes numériques
Le décret n° 2017-1434 du 29 septembre 2017 (JO 5 oct.), pris en application de l’article 49 de la loi Lemaire, rétablit les articles D. 111-6 à D. 111-9 du Code de la consommation. Désormais, l’article D. 111-6 est ainsi rédigé : « Les règles particulières applicables à certains opérateurs de plateformes mentionnés au I de l'article L. 111-7 sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux. Les règles générales des articles D. 111-7 à D. 111-8 s'appliquent sans préjudice de ces règles particulières ».
 
Est concernée par ce décret, toute personne dont l'activité repose soit sur le classement, le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers, soit sur la mise en relation, par voie électronique, de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service (C. consom., art. L. 111-7-I).
 
Le décret impose à ce type d’acteur, « lorsqu'il met en relation des professionnels avec des consommateurs et permet la conclusion d'un contrat de vente ou de prestation de service, (de mettre) à la disposition de ces professionnels l'espace nécessaire pour la communication des informations préalables à la vente d'un bien ou à la fourniture d'un service, prévues par les articles L. 221-5 et L. 221-6 » (C. consom., art. D. 111-9).
 
Les obligations portant sur les modalités du classement/référencement.- Dans une rubrique bien identifiée, portant spécifiquement sur les modalités de référencement, de déréférencement et de classement, directement et aisément accessible à partir de toutes les pages du site, l’opérateur de plateforme aura désormais l’obligation de révéler une certain nombre de mentions. De quel type d’information s’agit-il ? Cette nouvelle rubrique devra désormais expliciter : 
« 1° Les conditions de référencement et de déréférencement des contenus et des offres de biens et services, notamment les règles applicables pour être référencé et les obligations dont le non-respect conduit à être déréférencé ; 
2° Les critères de classement par défaut des contenus et des offres de biens et services, ainsi que leur principaux paramètres ; 
3° Le cas échéant, l'existence d'un lien capitalistique ou d'une rémunération entre l'opérateur de plateforme et les offreurs référencés dès lors que ce lien ou que cette rémunération exercent une influence sur le référencement ou le classement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne »
(C. consom., art. D. 111-7-1, I). 
 
Étant précisé que, au-delà de sa volonté de voir figurer ces informations dans une rubrique spécifique, le gouvernement entend s’assurer de leur compréhension par l’utilisateur de la plateforme : « Tout opérateur de plateforme en ligne (devra faire) apparaître, de manière lisible et aisément accessible, sur chaque page de résultats, le critère de classement utilisé ainsi que la définition de ce critère, y compris par renvoi à la rubrique mentionnée au I » (C. consom., art. D. 111-7-1, II). De quoi permettre à l’utilisateur de mieux apprécier la loyauté de l’algorithme de classement/référencement.
 
Les obligations portant sur l’information de liens juridiques et/ou financiers entre la plateforme et la personne référencée.- Pour pousser plus loin encore l’exigence de transparence, le décret oblige, par ailleurs, les plateformes à révéler, de manière suffisamment explicite, tout lien de droit ou capitalistique entre elles et le prestataire/vendeur référencé sur le site : « pour chaque résultat de classement, à proximité de l'offre ou du contenu classé, tout opérateur de plateforme en ligne fait apparaître, par tout moyen distinguant ce résultat, l'information selon laquelle son classement a été influencé par l'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération entre l'opérateur de plateforme et l'offreur référencé, y compris sur ce qui relève de la publicité au sens de l'article 20 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l'économie numérique » (C. consom., art. D. 111-7-1, II)

Les obligations d’information portant sur le produit ou le service référencé.- Tout opérateur de plateforme en ligne qui opère précisément un classement des biens ou services, doit, en outre, là encore dans une rubrique directement et aisément accessible à partir de toutes les pages du site, et sans que l'utilisateur ait besoin de s'identifier, renseigner les informations suivantes : 
« 1° La qualité des personnes autorisées à déposer une offre de biens et de services, et notamment leur statut de professionnel ou de consommateur ; 
2° Le descriptif du service de mise en relation, ainsi que la nature et l'objet des contrats dont il permet la conclusion ; 
3° Le cas échéant, le prix du service de mise en relation ou le mode de calcul de ce prix, ainsi que le prix de tout service additionnel payant, lorsqu'ils sont mis à la charge du consommateur ; 
4° Le cas échéant, les modalités de paiement et le mode de gestion, opéré directement ou par un tiers, de la transaction financière ; 
5° Le cas échéant, les assurances et garanties proposées par l'opérateur de plateforme ; 
6° Les modalités de règlement des litiges et, le cas échéant, le rôle de l'opérateur de plateforme dans ce règlement 
» (C. consom., art. D. 111-8-1, I)
 
Plus généralement, toute plateforme opérant un classement ou un référencement de produits ou services, « qui met en relation des consommateurs ou des non-professionnels entre eux, à titre principal ou accessoire, indique également, de manière lisible et compréhensible : 
1° La qualité de l'offreur, selon que l'offre est proposée par un professionnel ou par un consommateur ou non-professionnel, en fonction du statut déclaré par celui-ci ; 
2° Si l'offre est proposée par un consommateur ou un non-professionnel : 
a) préalablement au dépôt de l'offre, les sanctions encourues par l'offreur s'il agit à titre professionnel alors qu'il se présente comme un consommateur ou un non-professionnel, en application des dispositions de l'article L. 132-2 ; 
b) pour chaque offre :

- le prix total des biens ou des services proposés, y compris, le cas échéant, les frais de mise en relation et tous les frais supplémentaires exigibles, sur la base du prix déclaré par l'offreur ; 
- le droit de rétractation lorsque les parties au contrat l'ont prévu, ou, à défaut, l'absence de droit de rétractation pour l'acheteur au sens de l'article L. 221-18 ; 
- l'absence de garantie légale de conformité des biens mentionnée aux articles L. 217-4 et suivants et l'application des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil relatifs à la garantie des défauts de la chose vendue ; 
- les dispositions du Code civil relatives au droit des obligations et de la responsabilité civile applicables à la relation contractuelle, par l'affichage d'un lien hypertexte.

 
Et « S'agissant des obligations des parties en matière fiscale, il est fait application de l'article 171 AX du Code général des impôts » (C. consom., art. D. 111-8-I).
 
Ce décret laisse très peu de temps aux plateformes pour se mettre en conformité : dans moins de trois mois, à savoir le 1er janvier 2018, le décret entrera en effet en vigueur.
 
De la nécessité pour certaines plateformes d’élaborer, en sus, un guide de bonnes pratiques
L’article 50 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 a inséré un article L. 111-7-1 dans le Code de la consommation. Il prévoit que « Les opérateurs de plateformes en ligne dont l'activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret élaborent et diffusent aux consommateurs des bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté mentionnées à l'article L. 111-7. L'autorité administrative compétente peut procéder à des enquêtes (…). Elle diffuse périodiquement les résultats de ces évaluations et de ces comparaisons et rend publique la liste des plateformes en ligne qui ne respectent pas leurs obligations au titre de l'article L. 111-7 ».
 
Toutes les plateformes n’ont pas vocation à se voir imposer ce guide de bonnes pratiques. Seules celles les plus visitées sont concernées. Le décret n° 2017-1435 du 29 septembre 2017 (JO 5 oct.) vient précisément fixer un seuil. Ainsi, « le seuil du nombre de connexions au-delà duquel les opérateurs de plateformes en ligne sont soumis aux obligations de l'article L. 111-7-1 est fixé à cinq millions de visiteurs uniques par mois, par plateforme, calculé sur la base de la dernière année civile ». Et si un opérateur dépasse ce seuil, il dispose d’un « délai de six mois pour se mettre en conformité » (C. consom., art. D. 111-15-I, nouv.).
 
Avec cette précision importante que « le nombre de connexions est déterminé au regard de la seule activité de mise en relation » (C. consom., art. D. 111-15-II, nouv.).
 
Le gouvernement souhaite donner un peu de temps à ces acteurs pour élaborer ces guides. Ce décret n’entrera ainsi en vigueur qu’un an après le décret sur les obligations d’information, soit le 1er janvier 2019.
 
Les nouvelles obligations concernant les avis en ligne de consommateurs
Un internaute sur deux déclare consulter les avis en ligne avant un achat. Le gouvernement a donc souhaité que les sites publiant des avis de consommateurs précisent, en outre, s’ils ont été vérifiés et, dans ce cas, de quelle manière cette vérification a été effectuée.

Ce point est au centre de l’article 52 de la loi Lemaire, qui a créé un article L. 111-7-2 prévoyant que : « Sans préjudice des obligations d'information prévues à l'article 19 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et aux articles L. 111-7 et L. 111-7-1 du présent code, toute personne physique ou morale dont l'activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne ». Un décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, devait fixer les modalités et le contenu de ces informations. Chose faite avec le décret n° 2017-1436 du 29 septembre 2017 (JO 5 oct.).
 
De nouveaux articles D. 111-16, D. 111-17, D. 111-18, D. 111-19 viennent préciser le dispositif.
  • Désormais, « Pour l'application des dispositions de l'article L. 111-7-2, un avis en ligne s'entend de l'expression de l'opinion d'un consommateur sur son expérience de consommation grâce à tout élément d'appréciation, qu'il soit qualitatif ou quantitatif. L'expérience de consommation s'entend que le consommateur ait ou non acheté le bien ou le service pour lequel il dépose un avis. Ne sont pas considérés comme des avis en ligne au sens de l'article L. 111-7-2, les parrainages d'utilisateurs, les recommandations par des utilisateurs d'avis en ligne, ainsi que les avis d'experts » (C. consom., art. D. 111-16).
  •   « Toute personne exerçant l'activité mentionnée à l'article L. 111-7-2 indique de manière claire et visible :  1° À proximité des avis :  a) L'existence ou non d'une procédure de contrôle des avis ; b) La date de publication de chaque avis, ainsi que celle de l'expérience de consommation concernée par l'avis ; c) Les critères de classement des avis parmi lesquels figurent le classement chronologique. 2° Dans une rubrique spécifique facilement accessible : a) L'existence ou non de contrepartie fournie en échange du dépôt d'avis ; b) Le délai maximum de publication et de conservation d'un avis » (C. consom., art. D. 111-17).
  •  « Lorsque la personne exerçant l'activité mentionnée à l'article L. 111-7-2 exerce un contrôle sur les avis, elle veille à ce que les traitements de données à caractère personnel réalisés dans ce cadre soient conformes à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée et précise dans la rubrique prévue au 2° de l'article D. 111-17 :  1° Les caractéristiques principales du contrôle des avis au moment de leur collecte, de leur modération ou de leur diffusion ; 2° La possibilité, le cas échéant, de contacter le consommateur auteur de l'avis ; 3° La possibilité ou non de modifier un avis et, le cas échéant, les modalités de modification de l'avis ; 4° Les motifs justifiant un refus de publication de l'avis » (C. consom., art. D. 111-18).
Avec cette précision, apportée par l’article D. 111-19, que « Lorsque la personne exerçant l'activité mentionnée à l'article L. 111-7-2 refuse la publication d'un avis, elle informe son auteur des motifs de refus par tout moyen approprié ».

Ce décret entre en vigueur, pour sa part, le 1er janvier 2018.
 
Pour Mounir Mahjoubi, « ces textes incarnent à la fois la volonté du gouvernement français de mettre en place une meilleure régulation des plateformes, mais visent également à traduire, en termes concrets, la proposition présentée par le Président de la République à nos partenaires européens à Tallin le 29 septembre dernier : développer et porter une initiative européenne pour créer de la transparence sur le comportement des plateformes, car le numérique ne doit pas être régi par la loi du plus fort. La France assume ainsi pleinement l’ambition de faire de l’espace numérique un lieu où les principes d’équité et de loyauté sont respectés ».
Source : Actualités du droit