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Visite domiciliaire douanière : quels contrôles du juge ?

Affaires - Pénal des affaires
Transport - Douane
05/10/2020
Une visite domiciliaire autorisée par le juge des libertés et de la détention dans le cadre de l’article 64 du Code des douanes fait une nouvelle fois l’objet d’un contrôle, par la cour d’appel de Paris dans une décision du 30 septembre 2020, s’agissant tant de l’ordonnance que du déroulement des opérations de visite et de saisie : motivation, abus et proportionnalité pour l’ordonnance et saisie massive pour la visite elle-même sont examinés.
Dans l’affaire ici présentée, il est question d’exportation vers la Chine de produits contrefaisants par un opérateur qui remet en cause la validité de l’ordonnance autorisant une visite domiciliaire dans ses locaux sur le fondement de l’article 64 du Code des douanes, ainsi que le déroulement des opérations de visite et de saisie.
 
Appel de l’ordonnance autorisant la visite
 
Information incomplète du juge par la Douane
 
L’opérateur reproche à l’ordonnance une absence de motivation in concreto au motif en particulier que l’information de ce juge était incomplète puisque la Douane aurait dû indiquer que des retenues douanières avaient été réalisées, ce qu’elle n’avait pas fait. En revanche, la cour d’appel qui apprécie la motivation de l’ordonnance et examine ce moyen d’une insuffisance des pièces justifiant la visite écarte l’argument en l’espèce : le juge s’est fondé sur les pièces produites par la Douane qui, selon l'appréciation qu’il en a faite, permettent d'établir la présomption d'agissements frauduleux ; ces pièces en appui de la requête de la Douane sont – selon la cour d’appel – suffisantes pour établir cette présomption. Ainsi, le moyen selon lequel l'ordonnance doit être annulée parce que le juge n'a pas eu connaissance de tous les éléments de l'affaire n'est donc pas ici opérant : autrement dit, comme le soutenait la Douane, l’information relative aux retenues douanières n'était pas indispensable à la compréhension et à la connaissance des éléments de fait et de droit justifiant la visite domiciliaire.
 
Motivation par des éléments de fait et de droit in concreto 
 
L’opérateur reproche aussi une absence de motivation in concreto suffisante de l’ordonnance. Mais, pour la cour d’appel, le juge a suffisamment motivé sa décision par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée : en effet, le juge a relevé, après un examen in concreto de la requête et des pièces, que les faits décrits constituent un faisceau sérieux d'indices qui laissent présumer l'existence de délits douaniers, en fondant son ordonnance sur des documents d'accompagnement électronique et des déclarations d'exportation soit en sortie simple soit après apurement d'un régime économique, correspondant à l'activité habituelle de négoce et d'exportation de l’opérateur vers des pays tiers à l'UE, et notamment vers la Chine.
 
Abus de présomption de contrebande
 
L’opérateur avance encore un « abus de présomption de contrebande » par le juge mais la cour d’appel rappelle que le juge qui autorise une visite domiciliaire sur le fondement de l’article 64 précité n'est pas le juge du fond : il n'a pas à apprécier la constitution de l'infraction mais seulement si des éléments de fait et de droit laissent présumer l'existence d'agissements frauduleux... et « la notion d'abus de présomption de contrebande » est donc inopérante.
 
Absence de proportionnalité des mesures autorisées
 
Enfin, argument classique et récurrent, la disproportion de la mesure est aussi avancée par l’opérateur. Selon lui, d’une part l’Administration pouvait, par exemple, demander l'autorisation de visiter les locaux professionnels uniquement en application de l’article 63 ter du Code des douanes, et d’autre part le juge aurait dû indiquer en quoi il était nécessaire qu'une telle mesure soit autorisée, autrement dit, il aurait dû justifier de la proportionnalité de la mesure.
 
Sans surprise, la cour d’appel rappelle au contraire que l’article 64 « ne pose aucune exigence de proportionnalité entre la visite domiciliaire dont l'autorisation est demandée auprès du JLD et la recherche des infractions présentées dans la requête et qui justifient les opérations de visite et saisie ». Elle ajoute également que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « aucun texte ne subordonne la saisine de l'autorité judiciaire par l'administration des douanes, pour l'application des dispositions de l’article 64 du code des douanes, au recours préalable à d'autres procédures » (Cass. com., 8 févr. 2017, n° 15-21.740, Bull. civ IV, n° 23). Ainsi donc, le juge des libertés et de la détention n’a pas à procéder à une appréciation de la proportionnalité de la visite sollicitée.
 
Recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie
 
Selon l’opérateur, d’une part les biens saisis lors de la visite domiciliaire sont sans lien avec la présomption de contrebande alléguée et d’autre part les enquêteurs ont procédé à une saisie massive : il évoque en effet une « razzia » non pas sur la schnouff mais sur tous les produits, documents comptables et financiers et données, sans aucun tri ni sélection.
 
Absence de lien entre les éléments saisis et la présomption de fraude
 
Pour la cour d’appel, l'argument selon lequel les biens saisis lors de la visite domiciliaire sont sans lien avec la présomption de contrebande alléguée n'est pas recevable : les documents saisis sont en lien avec l'activité de l’opérateur et seule leur exploitation pourra (ou non) venir démontrer le délit recherché par la Douane.
 
Saisie massive
 
Pour la cour d’appel, il n’y a pas non plus de saisie massive : le procès-verbal de déroulement de la visite indique que « les agents de la DNRED ont procédé à une pré-sélection des éléments utiles à l'enquête avant d'effectuer une copie partielle ou intégrale de ces supports à l'aide d'un logiciel dédié, que les opérations de visite [se] sont déroulées en présence du représentant de la société (...), que les saisies ont été effectuées en présence de l'OPJ désigné (le commandant de police (...)), que les documents papiers saisis ont été listés et cotés tant en ce qui concerne les copies que les originaux (page 5 du PV) ». Aussi, toujours pour cette cour, eu égard à la cotation, le nombre de document saisis apparaît raisonnable, l'inventaire des pièces est joint au PV, les supports informatiques ont été recensés en présence des participants, les fichiers ont été copiés par l'administration aux fins d'exploitation, mais laissés à la disposition de l'entreprise, la liste des fichiers copiés a été paraphée de façon contradictoire avec le représentant de la société, des clichés numériques ont été effectués et repris sur 2 CD-ROM, l'inventaire des pièces et documents saisis a été annexé au PV et « rien ne permet d'affirmer à la lecture du PV que les saisies ont été massives et indifférenciées ».
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy guide des procédures douanières, n° 1010-24 et s., dans Le Lamy transport, tome 2, n° 1590 et s. et dans Le Lamy droit pénal des affaires, n° 4156 et s. La décision ici présentée est intégrée aux numéros concernés des deux premiers ouvrages dans leurs versions en ligne sur Lamyline dans les 48 heures au maximum à compter de la publication de la présente actualité.
  
Source : Actualités du droit