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Rupture brutale de relations commerciales : sur quel(s) fondement(s) indemniser ?

Affaires - Commercial
08/10/2019
À la suite d’une rupture brutale de relations commerciales, la Cour de cassation est venue préciser le régime de l’action en indemnisation issue du préjudice lié à la rupture. Les règles du Code de commerce sont, dans ce cas, exclusives du droit commun de la responsabilité. 
En l’espèce, une société en management conclut un contrat de gérance-mandat d’un an avec tacite reconduction avec la société Gifi en vue de l’exploitation d’un magasin de la chaîne. Quelques années après, la société Gifi met fin au contrat. La société en management assigne son cocontractant en justice pour rupture brutale des relations commerciales et réclame des dommages et intérêts. Elle demande en outre l’annulation de la clause de non-concurrence post-contractuelle prévue dans le contrat de gérance-mandat.

Préjudice indemnisable.– Tout d’abord, quant à la demande d’indemnisation, la Chambre commerciale valide le raisonnement des juges du fond. Ces derniers avaient rejeté la demande en application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et ne s’étaient pas prononcés sur la demande subsidiaire fondée sur le droit commun de la responsabilité. 

La Cour de cassation précise ainsi les conditions d'application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code du commerce en présence d'un préjudice issu de la rupture brutale des relations commerciales. Selon elle, « les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, étant exclusives de celles de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'en l'absence de toute faute délictuelle distincte établie, la demande fondée sur ce dernier texte devait être rejetée ». Ainsi, seul l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'applique pour indemniser un préjudice issu de la rupture des relations commerciales. Le droit commun reste toutefois applicable pour une demande en indemnisation fondée sur un préjudice distinct. 

La Chambre commerciale dessine ainsi peu à peu une responsabilité spécifique fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en cas d’un préjudice spécifique résultant de la rupture d’une relation commerciale et non dû à un manquement contractuel. Cette décision s’inscrit dans la continuité d'un l’arrêt de 2018 (Cass. com., 24 oct. 2018, n° 17-25.672, à paraître au bulletin). 

Indemnisation pour résiliation du contrat de gérant-mandataire.– Par ailleurs, la Cour se prononce sur l'articulation entre les articles L.146-4 du Code de commerce et l'article L. 442-6, I, 5° du même Code. 

La cour d’appel avait en effet rejeté la demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales estimant non applicable l’article L. 442-6, I, 5° du Code commercial à l’espèce soumise, selon eux, à l’article L. 146-4 du Code de commerce.

Or, selon la Cour de cassation, « si le régime institué par les articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce prévoit, en son article L. 146-4, le paiement d'une indemnité minimale au profit des gérants-mandataires en cas de résiliation du contrat sans faute grave de leur part, il ne règle en aucune manière la durée du préavis à respecter, que le même texte laisse à la convenance des parties, ce dont il se déduit qu'ont vocation à s'appliquer les règles de responsabilité instituées par l'article L. 442-6, I, 5° du même Code lorsque le préavis consenti est insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les parties et des autres circonstances ». Un cumul est donc ici possible.

Ce raisonnement justifie en outre, selon la Cour, une analyse de l’espèce par les juges du fond. Ces derniers avaient simplement indiqué l’absence de flux d’affaires entre les parties. Pour la Chambre commerciale, « en se déterminant ainsi, par des motifs péremptoires, sans analyser concrètement les relations ayant existé entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».

Rappel des conditions de validité d'une clause de non-concurrence.– Quant à la clause de non-concurrence, sa nullité avait été prononcée par la cour d’appel. Or, la société Gifi forme un pourvoi incident sur ce point. Elle invoque pour cela deux arguments :

- d’une part, la clause serait suffisamment limitée dans l’espace et dans le temps ;
- d’autre part, que la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur le fait que son réseau ne couvrait pas l’entièreté du territoire national.

La Cour de cassation devait ainsi se prononcer sur la licéité d’une clause de non-concurrence. Pour se faire, elle s'appuie sur les considérations de fait relevées en appel : « la clause de non-concurrence prévue au contrat, qui fixe à un rayon de cinquante kilomètres à vol d'oiseau autour des magasins Gifi l'interdiction pour la société IDF management ou ses représentants d'exercer une activité concurrente, conduit, compte tenu de la densité du réseau de la société Gifi sur l'ensemble du territoire français et de la diversité de son activité, à une impossibilité, de fait, de toute réinstallation ». En outre, « la clause ne décrit ni n'établit l'intérêt légitime de la société Gifi, justifiant une telle interdiction pendant une durée de deux années ; qu'en l'état de ces appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions invoquées par la seconde branche, a pu annuler cette clause ». Le pourvoi incident est donc rejeté.

Cette analyse rejoint la position déjà bien connue de la Cour de cassation sur les cinq critères de validité d’une clause de non-concurrence (Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45.135, Bull. soc. 2002, n° 239).
Source : Actualités du droit